Fable de la Construction
En avril on lance la tournée Little America, ironiquement débutée en Europe. Pays-Bas, Allemagne de l'Ouest, France, Angleterre, Écosse. Du 16 juin au 31 octobre on sera sur scène aux États-Unis et au Canada. 4 fois au Japon, en Novembre. Puis en Europe à nouveau avec encore l'Angleterre, le Pays de Galles, la Norvège, l'Écosse à nouveau et l'Irlande. On a été très productifs dans les sessions de Reckoning, très inspiré, et c'est pas moins de 6 morceaux qu'on a laissé de côté pour le produit fini. Presqu'un album entier. Avec lesquels, pour l'instant, on ne fera rien.
Comme on est passé souvent en Angleterre, on en a profité pour passer au studio Livingstone de Londres pour y enregistrer ce qui les inspirait alors. Avec Joe Boyd comme producteur. Plus obscur, plus sombre, on est toujours dans la construction d'un son. D'une unité sonore. On a magasiné un nouveau producteur en Angleterre précisément pour retravailler le son du band. On considère demander à Van Dyke Parks, qui a travaillé avec les Beach Boys, ou Hugh Padgham qui vient de frapper fort avec The Police, David Bowie et Phil Collins. Elliot Mazer, qui a travaillé pour Neil Young, et avec lequel on avait débuté Reckoning par le passé. Peut-être même Elvis Costello, qu'on aime beaucoup. Micheal Stipe penche pour Parks dont il a aimé le dernier album qui s'inspirait des Contes de l'Oncle Rémus. Tous les textes de Stipe du prochain effort seront inspirés du style de l'Oncle Rémus. Le titre même de l'album à venir sera teinté du conte et du folk du Sud gothique. Mais c'est Peter Buck qui réussit à convaincre les autres de prendre Joe Boyd qui a produit pour Fairport Convention, Nick Drake, Richard & Linda Thompson. Les conditions d'enregistrements sont loin d'être idéales. Les gars sont logés assez loin de Wood Green, à Londres, où se trouve le studio. Tous les jours qu'il ne pleut pas, il neige. Boyd est méticuleux et perfectionniste. Les gars aiment être plus spontanés. Don Dixon et Mitch Easter, sur les efforts précédents les encourageaient à expérimenter, Boyd tente de réarranger au mix et à la production. Le band se sent moins impliqué sur ses propres compositions. Boyd reste surpris de leur cohésion et de leur professionnalisme et étonné aussi que personne dans le band ne demande à ce que son instrument ou sa voix ne soit plus dominante que les autres. Même que parfois Berry demande moins de batterie, Mills moins de basse, Stipe moins de voix. Bien qu'on est sombre et gothique, on reste jangle pop, folk rock, alternatif country, rock du Sud. Presque psychédélique. Stipe a étudié l'art oral de la musique des Appalaches. On dira de l'effort en cour qu'il est dans le spectre des chemins de fer, des petits villes, des excentriques locaux, de l'oppressive humidité, et qu'on a la vague impression d'entrer lentement dans un sentier pédestre. On évoque Man Ray et le rêve lucide. On s'inspire d'un auteur d'Athens, Brivs Mekis. Une ancienne icône d'Andy Warhol co-écrit avec le band, un morceau. Jeremy Ayers, ancien Sylva Thinn. Il est d'Athens. Il avait aussi collaboré avec les B-52's.Le premier single aura une section de cuivres ce qui lui donnera une esthétique sonore Soul Southern Funk. Stipe s'entend avec Natalie Merchant, chanteuse des 10 000 Maniacs, pour que chacun compose un morceau sur le génocide des autochtones originaux d'Amérique. Le chanteur Prince et même Mick Jagger, Steven Morrissey, ont repopularisé la voix de falsetto. Stipe l'utilise un peu aussi.On joue avec une certaine urgence comme on commencera sur l'album suivant, on garde une palette très terrestre. R.E.M. reste unique avec ce qu'il offre. Le premier single passe plutôt inaperçu. The Smiths ne jouera pas beaucoup à la radio non plus. Le second fera mieux et sera le morceau le plus repris de l'histoire du band. Il atteint la 22e position du Billboard. Le dernier single est mon morceau préféré de l'album, même si c'est celui que Peter Buck déteste le plus. Sinon son propre banjo, dessus. Mais la basse et les harmonies vocales de Mike Mills font tout le charme de ce morceau selon moi.
La pochette propose deux couvertures avec des parties du titre sur chaque côté. Bill Berry y est présenté comme WT Berry-best boy, Buck comme PL Buck-ministry of music, Mike Mills comme ME Mills-Consolate Mediator et Micheal Stipe comme JM Stipe-Gaffer Interpreter. L'album se classe 22e à son meilleur au Billboard et les gars resteront souvent contradictoires sur leur appréciation du produit fini. Berry trouvant que c'était mauvais, Stipe, surréaliste comme toujours, disant que ça ressemblait à deux oranges brochées ensemble. Mais Buck disant qu'il était très fier de l'étrangeté du produit fini que seul son band pouvait alors avoir produit. Ils ont un son à eux. Se le sont construit ensemble.
On fait remarquer que d'un morceau à l'autre ils sont très diversifiés tout en gardant une certaine authenticité dans leur unité sonore.En tournée, Stipe insistera pour qu'en première partie, le band soit le band punk Minutemen. Mais à la conclusion de cette année de tournée, en décembre, leur chanteur/guitariste D.Boon se tue en voiture, à 27 ans, en Arizona.
En Angleterre, où ils ont enregistré, leurs tensions avec Boyd sont validées. On critique la production. L'album sera plutôt mal reçu. Ça aidera à ne pas aimer cet album tout de suite pour R.E.M. Pourtant, au Canada, c'est celui qui fait alors le mieux. Les gars sont en tournée presque tout 1985. Ils ne remarquent pas tant l'impact du disque. Mais sont aussi très attentifs à ce qu'ils font.L'étiquette I.R.S. se frustre de voir le peu de succès à grande échelle. U2 a au moins assez de hits pour être invité au Band Aid. À leur 3e album, U2 avait 2 gros hits. R.E.M. non. Ils ne sont pas calculés pour We Are The World. I.R.S. questionne l'investissement en tournée comme artiste principal. Ce qui les choque davantage est que R.E.M. ne semble même pas intéressé à devenir si populaire.
Dans la fable qu'ils tricotent, R.E.M tire comme leçon que si ils font ce qu'ils aiment, ils le feront avec une passion qui se rendra aux gens. Qui leur paraîtra vraie à eux aussi. Qu'ils ne seront pas la grenouille se gonflant pour mieux exploser, mais ont des chances d'être le renard rusé au pied du corbeau à qui il vont lui dérober le fromage.
On tourne une nouvelle belle page.
Avec confiance, on prépare un virage.
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