Là Où La Terre Touche à l'Eau

Il est entendu qu'on ne ferait pas de tournée pour promouvoir New Adventures in Hi-Fi. 

Ce 10e album avait été majoritairement composé sur la route, en tournée, justement. Et tout le monde sauf Peter avait dû être hospitalisé. 

Abusaient-ils de leurs corps à 40 ans (Peter), 38 (Bill & Mike) et à 37 ans (Micheal) ?

En février, le groupe gagne le trophée du meilleur band étranger, en Irlande. Peter Buck a une maison à Hawaï. On y enregistre en vrac. Très vite, on compose beaucoup sans besoin de batterie et même avec assez peu de guitares. On bidouille. Un premier morceau est complété entièrement en une journée de février. On voulait retravailler avec Scott Litt, mais ce dernier ne tient plus tant à produire. Il pense lancer sa propre étiquette de disque. Comme on utilise une machine pour faire la batterie, Bill ne sent plus tant impliqué. 

Des allégations d'harcèlement sexuel autour de la part de leur gérant Jefferson Holt, auprès de jeunes travailleuses autour du band, mettra fin à leur association. On gardera les raisons de sa sortie privées mais ça finit par se savoir, Holt avait un problème cyclique de suggestions salées auprès de mesdames. Et d'insistance. Scott Litt ne produira pas, mais Pat McCarthy, qui avait travaillé sur les deux derniers albums du band, comme ingénieur, prendra son poste. Mark Eitzel et Peter Buck travaillent beaucoup ensemble. Alors le bidouilllage électronique des deux Mike ne le dérange pas tant. Il a ce qu'il veut aux cordes avec Mark. 

On compose principalement de l'instrumental. Stipe se dit en blocage d'écriture. Épuisé des dernières années. Mais musicalement on compose facilement une quarantaine de morceaux. Beaucoup trop sans batterie. Bill ne se sent plus tellement nécessaire. En récupération sur sa ferme, il reprend vie après avoir frôlé la mort. Mais la proximité avec son épouse s'use et bientôt, ils se sépareront. Bill et Mari s'étaient acheté une ferme en 1988, et cette ferme prend une grande place dans la vie de Berry. Après le chaos populaire, il ne souffre pas tellement de l'isolement forcé dans les acres de leur terrain. Bill rachètera la part de Mari. 

On avait la musique d'un premier morceau. Pour en écrire les paroles, Micheal Stipe composent de haïkus dans un building de New York, chez des amis, et vers 4 heures de l'après-midi, il marche dans les corridors du bloc.  Sur la porte de l'un des appartements est inscrits "dormeur de jour". Ça donne l'idée à Stipe. Il pense à toute la coordination à faire, de jour, quand on est calibré à l'envers de la majorité des gens en travaillant de nuit. 

Notre fils est paramédic de nuit. Je vais lui faire écouter ce morceau. Il est 18h32. Il dort encore. Ce morceau parle un peu de lui. C'est une année bouleversante pour le band. On perd son gérant de toujours. On change de producteur, celui qui a aidé à faire mûrir le son du band depuis les années 80. Le dernier album est un véritable chef d'oeuvre pour celui qui aura été germe de saveur sonore, tapisserie de couleurs pour un band qui aimait aussi le noir et blanc, pendant si longtemps.  Navire qui a aidé à guider des eaux à la terre ferme du succès. 

Et c'est parce qu'il a tout ce qu'il a toujours voulu, de l'argent, sa ferme, tout le temps du monde, que Bill Berry choisit, en octobre 1997, de démissionner de son poste de batteur dans le groupe. 

Depuis toujours, on s'était entendu que le band n'existerait plus si un seul des membres le quittait. Mais Bill insiste. Si le band se saborde, il ne quittera pas le band. Et ce seront eux les pires, ils devront l'endurer. Lui qui voulait tant de la dernière tournée a retourné sa veste. Il est prêt pour la retraite. Micheal, Peter, Mike surtout, sont bouleversés. On pense tout abandonner. Mais Berry ne veut pas être l'eau qui efface ce qu'on écrit sur le sable. 

Ils ont près de 50 chansons qui dorment. Dont une quarantaine sans lui, composées quand il était en repos forcé. Mais aussi beaucoup dans le froid de février. Ce qui rend les compositions plus près de la froideur studio que de la chaleur en spectacle. Berry insiste. Dans l'émotion qui accompagne l'annonce de son départ, on prend une pause. Pour repenser la suite. On le remplace officiellement ? On engage à la pièce comme on l'a fait en tournée ? Pour Berry, après des années sur les eaux agitées, il a trouvé pied choyé sur la terre ferme.

Avec ses terres, et sa ferme.  

Inconsciemment, on écrit un morceau assurément inspiré d'un album qu'ils écoutent beaucoup alors. Un album de Leonard Cohen. Un album qui a 30 ans cette année-là. La progression mélodique est si proche de Suzanne, qu'on se sentira obligé de créditer l'auteur compositeur Québécois. Il y a 6 ans, on avait pris grand plaisir à jouer sur un album hommage à Cohen. Faisant une version assez formidable et dure à retrouver, de First, We Take Manhattan. La version est si bonne. Nick Cave & the Bad Seeds, Jean-Louis Murat, Ian McCullough d'Echo & The Bunnymen, Pixies, James, John Cale, tous des artistes qui ont des listes de lecture de nos jours sur mon téléphone, se trouvaient aussi sur cet album de reprises de L.Cohen.       

Dans un an exactement, en octobre aussi, on fera aussi une annonce à nos ami(e)s que notre amour commun, la belle et moi, attend un petit garçon. 

Je ne me rappelle pas l'annoncer tellement on était aussi bouleversés par cette océan d'amour qui s'ouvrait à nous, mais j'ai vu sur les photos, dans nos yeux, soir de cigares multipliés, papa au sein de mes amis parmi les premiers, je le vois dans nos regards dis-je bien, on est à notre plus beau.

Octobre me sera toujours bon. 

Pour Bill Berry aussi , quitte le nid l'ancien oisillon.

R.E.M. est un trio.

Notre unité amoureuse aussi, dans moins d'un an.   

Il y a quelque chose d'ascendant dans l'air.